Respirez fort par le nez

Histoire en accès libre.

Histoires comme ça
7 min ⋅ 25/04/2023

Ceci est un micro sur son pied.Ceci est un micro sur son pied.

Ceci est juste un pied. Genre un pied humain. Mais hyper mal fait.Ceci est juste un pied. Genre un pied humain. Mais hyper mal fait.

Est-ce que vous êtes chauds ?



J’ai rien entendu ! EST-CE QUE VOUS ÊTES CHAUDS ?



Bon. Il est possible, je dis bien possible, qu’essayer de chauffer la salle comme le font les comédiens et les comédiennes de stand up ne fonctionne pas vraiment quand il n’y a pas de salle, et que c’est fait à l’écrit. En plus, je suis assis, et pas debout, du coup stand up ne colle pas vraiment non plus. “Sit down” alors ? Pas franchement engageant. “Write up” peut-être ? “Seul en texte” plutôt que “seul en scène” ? Vous avez une idée de comment je pourrais appeler ce que je suis en train de faire dans ce numéro ?



OK. Là, c’est pareil, j’essaie de faire quelque chose de sympa, de créer du lien, une interaction, et de votre côté, zéro réponse. Le fait que ce soit à l’écrit et pas immédiat n’excuse pas tout ! C’est pénible à la fin !



Cela dit, comme a priori vous lisez ça depuis votre boîte mail, on n’est pas non plus sur l’ambiance d’une salle de spectacles. Même si vous aviez répondu à ma première question, vous m’auriez dit quoi ? “Ben, y’a un petit vent, je suis dans le métro” ? Ou alors : “j’avais froid, je voulais mettre le chauffage, mais le prix de l’énergie en ce moment coûte un bras, alors ça m’a un peu refroidi. Du coup, j’ai encore plus froid” ? Je vous aurais répondu : “C’est super Michel, mais t’es trop premier degré”, ce à quoi, fidèle à vous-mêmes, vous m’auriez sans aucun doute rétorqué : “C’est gênant, je m’appelle pas Michel” ou alors “La météo annonçait plutôt 12 °C ce soir”. Et je serai dans l’obligation de rétorquer qu’il va vous falloir un tout petit peu d’imagination parce que j’ai écrit ce texte en plein hiver, et comme je ne suis pas bien malin, j’ai mal anticipé la date de publication. Bref, qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ça ?

Ce qui est intéressant par contre, c’est que cette petite expérimentation littéraire est riche en enseignements : pour faire du write up, il ne faut pas miser sur l’oralité et l’échange. Alors oui, c’est sûr, j’aurais peut-être pu m’en douter avant, mais j’essaie de faire du stand up assis, et un seul en scène sans scène et depuis chez moi, et je parle des rudes températures hivernales en plein mois d’avril donc je pense qu’on peut conclure que je ne suis pas vraiment une lumière. Surtout pas au prix actuel de l’énergie ! À ce tarif-là, ça ne vaut pas le coup d’être brillant. Luisant à la rigueur, mais je vais vous le dire franchement, ça me ferait suer.

Vous savez ce qui me fait suer aussi, à part les transitions claquées au sol (oups) ? Le sport. À tel point que pendant des années sans pratiquer de sport, j’ai essayé de me justifier comme je le fais souvent, avec une petite pirouette humoristique. Oui Michel, une pirouette, ça peut être du sport, merci pour ta participation.

Non, en matière de sport, pendant longtemps, j’ai cherché à me présenter en ce que j’appelais un “parasportif”. Alors avant de vous expliquer le concept, je pense que plusieurs d’entre vous se disent sans doute que le nom est risqué et potentiellement offensif, et à ces personnes-là je répondrais qu’elles ont tout à fait raison, et qu’effectivement, quand je disais que j’étais un parasportif, je ne pensais pas au fait que ça existait déjà, et que c’était ainsi que l’on appelait les personnes en situation de handicap qui pratiquent un sport. Bon, je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas une lumière (le prix de l’énergie, tout ça), et désolé pour avoir utilisé ce mot à mauvais escient.

Dans ma tête un peu vide, je voulais plutôt faire la comparaison avec les produits de parapharmacie. Ce sont des choses qui ne sont pas vraiment des produits de pharmacie, mais un peu quand même, surtout qu’on les trouve en pharmacie. Il est possible que ce soit du vent, ce qui est peut-être une piste à explorer pour développer l’énergie éolienne et faire baisser les prix soit dit en passant, ou encore du marketing, et c’était précisément là où je voulais en venir. J’essayais de marketer le fait de ne pas faire de sport, en prétendant que j’en faisais un peu quand même, mais pas vraiment, mais quand même si.

Je vais prendre un exemple.

J’ai fait, au cours de ma vingtaine, plus de déménagements d’ami·es que je ne pourrais en compter, et pas uniquement parce que je suis nul en math. Une fois, quand j’étais encore étudiant, je me suis même levé à 6 h du matin, pour aller aider une pote à déménager, alors que j’avais cours à 8 h à l’autre bout de la ville, et que je n’avais pas anticipé qu’il faudrait que je prenne une douche. Petite surprise supplémentaire, quand j’arrive, j’apprends qu’on est trois personnes pour ce déménagement, elle, moi, et son père, “qui a un lumbago, mais qui aidera quand même à ranger dans la camionnette”.

Eh bien mes ami·es, croyez-le ou pas, mais on vous a torché ce déménagement en un temps record ! Un 25 m², pas immense, mais dans lequel il y avait quand même deux ou trois meubles bien sympathiques, et deux bonnes grosses douzaines de cartons. Y’avait du pain sur la planche, et elle et moi devions la porter. Mais… J’étais au taquet ! Je dévalais les escaliers, les bras chargés de cartons comme un employé d’Amazon sous-payé, je les remontais quatre à quatre pour redescendre aussi sec, rouge et essoufflé à cause de l’effort. On aurait dit un père Noël asthmatique avec tous mes paquets là. Je n’aurais pas été plus rapide si j’avais été poursuivi par un tueur en série ou un coach sportif. Problème, j’avais une journée entière de cours qui m’attendait, j’étais déjà claqué, j’avais transpiré comme un bœuf, ma pote n’avait déjà plus d’eau chaude, et pas de serviette non plus, puisque je venais de les descendre dans un carton en me prenant pour un dieu des déménagements.

J’ai tiré quatre leçons de cette expérience. La première, c’est que même du papier toilette triple épaisseur n’est pas fait pour se sécher après une douche.

La deuxième, c’est qu’une douche ne remplace pas des fringues propres et qu’avoir un t-shirt de rechange quand on va à un déménagement, ça peut être utile.

La troisième, c’est que même quand on te dit : “j’ai déjà trouvé trois personnes pour venir m’aider, je n’ai pas besoin de bras en plus”, proposer son aide en se disant que comme ça on peut passer pour un mec sympa sans avoir à se fouler n’est pas un bon plan.

Et la quatrième leçon que j’ai apprise ce jour-là, donc, c’est que les déménagements sont d’excellents exemples de PÉRIsport (oui, quand j’ai réalisé mon erreur, j’ai changé le nom… c’est quelque chose les mots hein).

Le périsport, c’est cette activité du quotidien, ou ordinaire, qui est de nature physique, qui vous fait respirer fort par le nez, mais qui ne constitue pas un sport à proprement parler.

  • Aller au boulot à vélo ? Périsport.

  • Courir pour rattraper son bus ? Périsport.

  • Ne pas courir pour rattraper son bus parce qu’on a décidé de marcher une demi-heure à la place ? Périsport.

Toutes les occasions sont bonnes !

  • Prendre les escaliers sans que l’ascenseur soit en panne ? Périsport.

  • Aller au supermarché en faisant des roulades ? Euh… Je sais pas, c’est bizarre ça.

  • Partir d’un restaurant en courant et sans payer ? Bon, je suppose que c’est du périsport, mais c’est aussi illégal, donc ne faites pas ça s’il vous plait.

  • Porter un sac à dos rempli de parpaings et se déplacer dans la rue en faisant des fentes avant ? Ça devient du vrai sport là, déconnez pas.

  • Se mettre à courir après quelqu’un que vous ne connaissez pas en criant “arrêtez-le !” ? Mais qui fait ça ? … Bon, d’accord, mais juste pour voir comment cette personne réagit.

  • Porter une vieille dame sur ses épaules pour l’aider à traverser ? … Hein ?

  • Monter à cheval puis inverser les rôles ? Quoi ? Mais arrêt…

  • Traîner près d’une école maternelle et utiliser des gosses comme des haltères ? STOOOOP !






Bon d’accord un petit dernier.

  • S’enfermer sur son balcon et devoir escalader son immeuble pour atteindre la fenêtre de la cuisine restée ouverte ? Périsport, qu’accessoirement je déconseille parce que même si j’habitais au premier étage au-dessus d’un gazon et ne risquais donc pas grand-chose, j’ai quand même FLIPPÉ MA RACE le jour où j’ai fait ça, tandis que ma copine était morte de rire. Merci à elle.

Mais aujourd’hui, j’ai décidé que faire du périsport ne suffisait pas tout à fait à me maintenir en forme. Dire que je cours régulièrement parce que je cours une fois tous les cinq ans, ça va bien deux minutes. Michel sera d’accord avec moi pour dire que c’est effectivement une régularité à toute épreuve, merci Michel, mais ce n’est pas non plus ce qui va me permettre d’être en bonne santé alors que je bosse de chez moi et que certains jours, le plus gros effort physique que je fais consiste à aller de ma chambre jusqu’à ma cuisine puis de revenir en portant un verre d’eau plein. Pour celles et ceux qui se poseraient la question, j’ajouterais que ça commence à être un peu léger comme acte périsportif, même pour un grand verre d’eau.

Pendant un temps, j’ai voulu faire de la savate, également appelée boxe française, ce qui est à la fois bien plus classe, et en même temps totalement dénué du charme désuet de la première appellation. J’ai franchement beaucoup aimé… Les cinq premières minutes. L’heure vingt-cinq qui a suivi, j’ai très régulièrement été confondu avec un punching-ball, et par la même découvert que les ecchymoses jaunes et violacées ne m’allaient pas mieux au teint que le fait de me faire frapper à la chaine ne sied à mon estime de moi. Et c’est l’occasion pour vous de découvrir que je suis un peu porté sur l’exagération. À cause d’une fierté un peu bête, j’ai voulu persister pour un deuxième cours, qui nécessitait une inscription cette fois-ci. J’y suis allé, j’ai donné mon chèque, pendant 1h30 mon visage a eu un avant-goût de la vie d’un clou, j’ai demandé à récupérer mon chèque, on m’a dit non, j’ai dit d’accord, j’ai ramassé mes vêtements de ville et ma dignité en morceaux, et je suis parti pour ne plus jamais revenir. L’avant-goût était déplaisant, l’arrière-goût était amer, mon goût pour la boxe, quelle qu’en soit la nationalité, proche de zéro.

Depuis un an et demi, je pratique donc le badminton, ce qui est nettement plus dans mes cordes (de raquette). Vous savez, ce sport que vous imaginez être pratiqué exclusivement par des binoclards à la tronche de comptables stéréotypés ? Ben voilà. Au passage, j’ai beau porter des lunettes, sachez que je mets aussi des lentilles et que je vous trouve bien jugeant sur l’aspect physique des badistes. Ou des comptables. Que je salue.

Le badminton, ou “le bad” comme on dit comme si ça nous rendait plus cools, c’est plutôt sympa comme sport. Ce que je préfère dedans, c’est le fait de ne pas payer 150 balles pour me faire tabasser pendant plus d’une heure. Mais bon, les goûts, les couleurs… Peut-être que certaines ou certains aiment se ramasser des coups de poing dans la figure. D’autres encore, des génies, apprécient sans doute de les éviter, ce que je n’ai visiblement jamais considéré comme une option viable. Ça fait pourtant partie des règles paraît-il ! Mais comme je vous le disais, on dirait que je ne suis pas une lumière. Et là, ça me permet de boucler habilement, et subtilement surtout, avec le début du texte. Parce que sport ou périsport, le point commun entre ces activités physiques, c’est qu’elles permettent de ne pas avoir froid. Alors, à présent que je vous ai livré mon secret pour lutter contre les basses températures hivernales, ou printanières, on ne sait jamais, je vous le redemande : est-ce que vous êtes chauds ?

(J’avais prévenu que ce serait subtil)  


Merci beaucoup de m’avoir lu jusqu’au bout ! J’espère que lire ce texte vous a fait sourire, ou même mieux, vous a fait respirer fort par le nez comme ça nous arrive quand on tombe sur quelque chose d’amusant sur Internet… ou qu’on fait du périsport. Je me dis que l’exercice est potentiellement casse-gueule, et le titre que j’ai choisi n’aide en rien. Ça change des histoires que j’ai publiées jusqu’à présent, en SF, fantastique ou fantasy, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ça, donc de ce point de vue là ça valait le coup, et j’espère donc que vous aussi avez apprécié la tentative.

Récemment, j’ai revu un spectacle de Kyan Khojandi, vous savez, le mec de Bref. Son spectacle, “Pulsions”, co-écrit avec son pote de toujours Bruno Muschio, alias Navo, est gratuit sur YouTube (le spectacle, pas Navo, sinon ça n’aurait aucun sens), et c’est franchement hyper bien écrit. Il y a une super continuité d’un sketch à l’autre avec des vannes très bien filées, c’est fluide, on se marre et on est ému. Bref, comme dirait l’autre, je vous le recommande. Vers la fin de son spectacle, il dit une petite phrase que j’ai beaucoup aimée. Je vous préviens, c’est doux-amer. Il dit : “En même temps, on est tous en train de mourir, alors autant faire des blagues”. Donc c’est ce que j’ai essayé de faire aujourd’hui. J’espère que vous avez apprécié, et à dans deux semaines.

Histoires comme ça

Par Thomas Weill

Journaliste professionnel, maître calembourgeois et expert en blagues ratées, adorateurs de jolis mots, détenteur du monopole de l'appréciation de ce qui constitue précisément un joli mot, spécialiste des transitions réussies et adorateur de fromages, amateur de phrases beaucoup trop longues surtout à des fins humoristiques en biographie de page "à propos" de newsletters, et enfin, auteur du roman de fantasy "Les Eaux du Temps" aux éditions Crin de chimère et de tout un tas d'histoires. Ces dernières se distinguent par une qualité rare : elles sont constituées de plusieurs mots, qui, mis à la suite les uns des autres, forment des phrase qui ont du sens. La plupart du temps.

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