Vous marchez dans une rue que vous ne reconnaissez pas, accompagné·e de Marilyn Monroe qui vous vante les mérites d’appeler ça chocolatine plutôt que pain au chocolat. Cela vous met dans une colère aussi terrible que légitime, et lorsque vous vous apprêtez à pousser Marilyn, vous réalisez qu’il s’agit en réalité de votre grand-mère, et que vous vous trouvez à la plage. Autour de vous, le sable coule et dégouline, le contour des choses manque de netteté, tout est flou, manque de précision. Le bruit des vagues chatouille vos oreilles, comme celui des enfants qui crient en jouant. Ils vous empêchent d’entendre les mots que votre grand-mère semble répéter sans cesse. Vous vous approchez d’elle, encore, encore un peu, mais chaque fois elle s’éloigne, et ses mots sont perdus pour vos tympans. Vous avancez d’un pas, mais vous vous sentez alors déraper et partir en arrière, toujours plus vite, comme si vous vous trouviez sur une pente raide et glissante. Vous commencez à avoir peur, le vertige vous gagne, et cela vous donne l’impression d’une poigne de fer qui vous contracte l’estomac. Vos bras battent follement tout autour de vous, et vous essayez de vous agripper pour mettre fin à votre chute, peu importe à quoi : un ballon de foot, un marteau rouge, le coin d’un mur, un panneau de signalisation, l’aile d’un avion sur le point de décoller, mais vous dépassez tout cela trop vite pour parvenir à ralentir votre chute.
Pourtant, le vent ne souffle plus sur vos cheveux, et vous réalisez alors que vous vous êtes arrêté·e de tomber, et que Franck Dubosc tient vos mains dans les siennes. Il vous regarde avec un sourire goguenard. « Ah, tu tombes bien ! », il éclate de rire. En vous rattrapant par les bras, l’humoriste a déboité vos deux épaules. Vous savez que vous avez mal, sans vraiment le ressentir, et soudain vous avez chaud, une chaleur panique. « Personne ne te croira quand tu leur diras que t’es tombé sur Franck Dubosc », nouvel éclat de rire.
Vous retirez vos mains des siennes, grimaçant sous l’effet d’une douleur fantôme, et vous vous retournez pour prendre la fuite. Sauf qu’au lieu de vous trouver en bas d’une rue en pente, vous avez été projeté·e au beau milieu d’une salle des fêtes, remplie de ballons multicolores. Certains détails vous sautent aux yeux quand d’autres vous échappent irrémédiablement. Où que vous vous tourniez, le même amas de baudruches leste des tables pliantes de leurs poids plumes. Vous distinguez des gâteaux recouverts de nappages à l’air délicieux et de bougies, pourtant, vous ne parvenez jamais à les compter. D’ailleurs, vous ne parvenez pas à focaliser votre attention dessus suffisamment longtemps.
La fête où vous vous trouvez est donnée en votre honneur, afin de célébrer votre rétablissement. Vous le savez sans savoir comment, comme vous savez respirer et crier. Vos bras vous font encore un peu souffrir, ils sont plâtrés, tendus devant vous comme ceux des momies des vieux films. Cela vous donne un air grotesque, un air de pantin figé et gauche, et vous craignez que les gens ne le remarquent et ne se mettent à rire de vous. Tous vos proches vous entourent, vos amis, votre famille, le facteur que vous avez croisé quelques jours auparavant, la vieille dame qui promène son chien dans votre quartier, le barman de la semaine dernière, votre boulangère, votre meilleur·e ami·e de l’école primaire, un pilote d’hélicoptère. Toutes et tous se tiennent immobiles, à porter des visages qui ne sont pas les leurs, et vous entourent en souriant.
En face de vous, vous croisez les yeux clairs de Franck Dubosc qui s’approche vers vous et vous donne une grande tape sur les épaules. « Alors comment ça va cette vilaine blessure ? » Vous sentez votre visage se tordre en une grimace de douleur, et vous vous écartez brusquement de lui, mais il est déjà trop tard. La claque vous fait soudainement rapetisser, de plus en plus, et bientôt vous ne mesurez plus que quelques centimètres de haut, et vous êtes perdu·e dans une forêt de brins d’herbe, balayés par les vents. Ils ondulent et dansent devant vous, comme agités par des courants invisibles et des vagues déferlantes. Vous apercevez la tête d’Emmanuel Macron et bientôt il sort de derrière une touffe fournie d’herbacés, avec son élégante veste de costume et ses toutes petites jambes potelées de bambin qui dépassent d’une couche. Il court vers vous avec les gestes saccadés d’un enfant qui apprend à marcher. Votre collègue lui prend la main et tous les trois, vous vous dirigez en direction de l’agence Pôle emploi. En chemin, votre collègue vous parle un air gêné. « Écoute, je suis désolée, on va devoir se séparer de toi. On aurait bien voulu te garder dans l’équipe, mais tu ne sais pas faire le grand écart ».
Vous sentez vos joues rosir et vous vous apprêtez à rétorquer, mais vous la voyez qui déjà ne vous écoute plus, puisqu’elle s’en va en faisant une rondade. Tant pis, vous obtiendrez justice plus tard, vous ne pouvez pas la poursuivre puisque devant vous la file d’attente avance sans discontinuer. Elle a beau être longue comme un océan est grand, vous savez que vous n’en aurez plus pour très longtemps à attendre avant d’atteindre le guichet. Vous constatez soudain que vous avez oublié d’avancer, et vous vous mettez à courir pour rattraper votre retard. Derrière vous, une ribambelle de petits canards vous suivent de leur démarche claudicante. Vous ne pouvez tout de même pas vous présenter à votre rendez-vous accompagné par des animaux ! Vous accélérez la cadence pour les semer. Vos pas survolent l’asphalte, vous sentez vos poumons se gonfler, se gonfler, se gonfler encore pour vous permettre d’endurer votre effort, mais rien n’y fait. Vous avez beau changer abruptement de direction, sauter par-dessus un mur, vous enfoncer dans un tunnel sombre, vous ne parvenez pas à vous en débarrasser. Ils nasillonnent et caquètent et cancanent, et ne vous lâchent pas d’une semelle. En désespoir de cause, vous vous réfugiez sous le lit dans votre chambre d’enfant.
Votre visage touche le sol, le bout de votre nez frôle la moquette grise usée. Vous n’aviez pas de moquette, mais vous reconnaissez pourtant cette petite chambre où vous avez dormi pendant des années. Dans votre main, vous tenez un pistolet muni d’un silencieux. Son poids au bout de votre bras vous indique qu’il est chargé et prêt à être utilisé. Vous savez vous y prendre avec les armes, puisque vous êtes un·e agent·e secret·e. La porte de votre chambre tremble sous le coup des assauts d’assaillants invisibles. Vous sentez la peur monter le long de votre échine, mais vous y répondez par une vague douce de confiance et de sérénité. Vous profitez de ce qu’il y a un trou de souris bien rond dans le mur pour faire rouler une grenade jusqu’à vos adversaires, et vous vous levez en projetant le lit derrière vous pour vous protéger de la déflagration. Sans attendre, vous courez vers la fenêtre ouverte et vous sautez.
En-dessous de votre corps en lévitation, vous voyez la France. Des champs défilent sous vos yeux tandis que vous les survolez, puis des forêts et des routes. Le ciel immense est votre terrain de jeu, les oiseaux et les nuages vos compagnons. Voler ne vous demande aucun effort, il vous suffit d’aller de l’avant. Rivières et montagnes se succèdent, de plus en plus vite, et vous vous retrouvez à planer au-dessus de villes et de villages. Lorsque vous virevoltez autour du clocher d’une église, une voix désincarnée vous explique que dans cette église a été baptisé votre patron la semaine dernière. Vous décidez de rentrer la visiter, et une fois passée la gigantesque porte en bois de l’église, vous avancez dans les allées d’un supermarché. Impossible de voir ce qui se trouve sur les rayonnages, votre regard ne parvient pas à accrocher la moindre marque ou la moindre forme.
Une voix vous interpelle dans votre dos. « Vous pourriez faire attention, vous voyez bien que je fais mes courses ». Vous vous détournez en vous excusant, et vous commencez à avancer dans l’allée du supermarché qui bientôt se mue en ruelle sombre. L’odeur de pain chaud qui vous parvient vous donne l’eau à la bouche, et vous vous mettez à en suivre le fumet qui se détache comme un ruban blanc dans le ciel noir et constellé d’étoiles. Vos pas vous mènent jusqu’à l’intérieur d’une chambre d’hôtel, où votre professeur de sport de collège vous attend les poings sur les hanches. « Encore en retard à ce que je vois. Ça va valoir un -2 sur le bulletin », il vous dit d’un air sévère. Plutôt que voir votre note baisser, vous acceptez de jouer votre moyenne sur un bras de fer. Vous vous installez face à une table, et lorsque vous lui enserrez la main, vous la sentez moite dans votre paume. « Je reviens des toilettes, elles sont propres », vous glisse Franck Dubosc avec un clin d’œil. Parfaitement écœuré·e, vous vous enfoncez sous un tunnel aux parois de sacs poubelles qui dégagent une odeur insoutenable. Vous avancez à quatre pattes sur un sol en gravier qui vous râpe les genoux, mais vous continuez d’avancer même si votre peau se déchire sans douleur. Au contraire, c’est moelleux tout autour de vous, doux et chaud. Vous vous sentez bien, allongé·e sur le dos, la tête légèrement surélevée. Une musique étouffée s’élève quelque part. Vous reconnaissez le refrain de Mylène Farmer : « Je, je, suis libertine, je suis une catin ». Craignant de la garder dans la tête, vous entreprenez de vous boucher les oreilles, mais en levant les mains, vous soulevez vos draps, et vous vous retrouvez dans votre lit. « Bonjour et bon réveil avec Mylène Farmer. Il est 7 h 59 sur Nostalgie. Tout de suite, les informations de 8 h. »
Merci à vous, dormeur ou dormeuse, lecteur ou lectrice, d’avoir voyagé avec moi dans nos inconscients. J’ai essayé de capturer cette petite folie douce que nous connaissons chaque nuit lors de notre phase de sommeil paradoxal, et qui nous emmène jusqu’aux tréfonds de notre psyché, même si l’on s’en souvient rarement. Pour un rendu le plus authentique possible, je suis même allé piocher dans mon propre catalogue de rêves, mais je ne vous dis pas desquels il s’agit, sinon vous seriez bien capables de chercher à me psychanalyser !
Bref, j’espère que cette onirique petite histoire comme ça vous a plu, peut-être même fait sourire par moments même si c’était moins l’objectif que dans le précédent épisode (si vous ne l’avez pas encore lu, vous pouvez le retrouver ici : j’y fais du write up, c’est à dire du stand up mais qui n’a pas pour vertu d’être joué sur scène, seulement lu.)
Comme d’habitude, n’hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de cette histoire, et à en parler autour de vous. Bonne semaine à vous, et à dans 15 jours !