Histoires comme ça

De jolis mots pour de belles histoires

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Par Thomas Weill
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La veste (partie 1)

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Trigger warning : Attention, le récit de fiction que vous vous apprêtez à lire traite de sujets sensibles, comme la dépression et le suicide.

J’ai retrouvé un vieux veston dans mon placard. Un blazer en velours côtelé marron, un peu élimé, mais avec une certaine élégance, que j’avais déniché dans une boutique de seconde main. Maria s’était tellement foutue de ma gueule quand elle m’avait vu avec ! Mais je le portais quand même, je l’aimais bien. Maintenant, j’ai l’air d’un clown avec, un clown triste. C’est moi qui ai l’air élimé quand je l’enfile…

Non je n’y arrive pas, c’est trop con. Mon psy m’a dit d’écrire un journal. Ridicule ! De quoi suis-je censé parler ? Je ne vais pas d’emblée me lamenter, dire à quel point Maria me manque, à quel point j’ai tout fait foirer quand je l’ai poussée à partir ! Je ne vais pas noircir la première page de ce carnet en décrivant l’ampleur du mépris que je porte à la vie que je mène, aux choix que j’ai faits, à ma manière d’être et de penser. J’aurais trop l’impression d’être une adolescente prépubère. « Aujourd’hui, j’ai encore croisé Jonas, il sent bon le “chewing-gomme” et il a de jolis pics dans les cheveux. Je lui ai dit bonjour, mais il n’a pas répondu, et maintenant, je n’arrête pas de pleurer, et personne ne me comprend… » Conneries. Jonas finira chauve de toute façon.

D’après mon psy, Monsieur le Docteur Claude Bertier, psychiatre diplômé d’État, écrire dans un carnet pourrait m’aider à exorciser mes démons. Tout coucher sur papier me permettrait d’extérioriser ce contre quoi je lutte. J’ai essayé, j’ai voulu commencer par quelque chose d’anodin comme la veste, pour ne pas me vautrer directement dans l’autoapitoiement qui m’est coutumier. Mais j’ai essayé, peut-être surtout pour me justifier à moi-même que tout l’argent que je dépense dans le cabinet du psy n’est pas simplement jeté par la fenêtre. Mais vraiment, non, je ne peux pas, c’est trop con. Cher journal, salut.


Apparemment, j’ai mal compris l’exercice. Je me suis trop focalisé sur le nom, et pas assez sur le concept. L’idée n’est pas de confier mes secrets, mais plutôt de m’aérer le cerveau. Comme si à mon âge, je n’avais pas appris à mettre mes problèmes de côté. C’est même tout ce que je fais ! Une vie de déni qui me rattrape et me ronge les savates. Et la solution ? Un carnet rose avec des fleurs ! Apparemment, j’ai fait ma tête de con en achetant ça plutôt qu’un autre carnet, plus sobre. Enfin, il n’a pas utilisé les mots « tête de con », mais quand on enlève le vernis de bienséance, cela revient au même. Soi-disant que cela montre que je ne prends pas ma santé mentale au sérieux, que je préfère, une fois de plus, m’abriter derrière une façade de dérision plutôt que d’essayer de regarder les choses en face. Je me demande si je ne vais pas arrêter d’aller voir ce psy. Je n’avance pas avec lui. Et puis, il me culpabilise. Qu’est-ce que ça peut lui foutre que je donne dans le sarcasme, je le paye quand même non ? Il croit que c’est si simple que ça d’affronter les choses ? Chaque fois que je repense à Maria, je vois son regard déchiré et empli de larmes alors qu’elle s’est retournée une dernière fois, sur le seuil de notre appartement. « J’y arrive plus… Je suis désolée ». La porte qui se ferme résonne en moi avec le claquement d’une guillotine. Tout ça parce que je ne suis pas foutu de penser à autre chose qu’à moi-même et mon petit mal-être. Je l’ai laissée partir… Non, je l’ai poussée dehors même, à force de cracher dans ses mains tendues. Alors pardon si j’ai du mal à prendre les choses au sérieux et à ne pas les tourner en dérision. Pour moi, c’est trop tard de toute façon, ma vie est finie depuis qu’elle est partie.

Voilà content ? Une vraie entrée digne de mon adolescence. Je suis crevé, j’arrête.


Chaque semaine, il remet une couche, et chaque semaine je reprends la plume comme si c’était la corde avec laquelle j’allais me pendre. Je ne vois pas vraiment les bénéfices de la manœuvre. Mais puisqu’il paraît que c’est bon pour ce que j’ai.


Je me suis souvenu de la toute première fois que j’ai porté le blazer marron. À vrai dire, j’ai du mal à croire que j’ai pu l’oublier ; le choc sûrement. Je me baladais dans la rue, sans porter attention à ce qui m’entourait. On s’était engueulé avec Maria, elle me reprochait de ne plus prendre soin de moi, elle me disait qu’elle était fatiguée d’essayer de me parler et de se trouver face à un mur… Enfin bref, j’avais encore dû me comporter comme un connard égoïste quoi. Je me demande pourquoi elle est restée si longtemps avec moi, c’est évident que je lui faisais du mal. Quoi qu’il en soit, je marchais dans la rue, la tête dans ces nuages orageux, et d’un coup, alors que je slalome sans y prêter attention entre les badauds et les touristes agglutinés aux vitrines des Galeries Lafayette —nous avions l’habitude, Maria et moi, de nous y retrouver sur le toit lors de nos premiers rendez-vous—, j’entends comme un craquement spongieux. Je n’ai pas vraiment vu la chute, j’ai juste vu son corps apparaître dans mon champ de vision, et avant même de réaliser qu’il s’agissait d’un corps, j’avais entendu le bruit. Je marchais dans la rue, et ce type m’est presque tombé dessus. Avec ce bruit. Il portait exactement la même veste que moi, jusqu’à la petite déchirure au bas du dos. Je suis resté bien une minute à fixer son cadavre comme un con, incapable de comprendre ce qu’il venait de passer. Je regardais sa veste, et je crois que je m’imaginais à sa place. Même après que les secours soient venus le chercher, je suis resté dans les parages, à contempler la chaussée là où il avait atterri, incapable de penser correctement deux secondes d’affilé et de me tirer de là. En y repensant à présent, je me demande ce à quoi je m’attendais, peut-être une flaque de sang, comme on voit dans les polars à la télé. Mais il n’y avait rien, il devait ne pas être tombé de suffisamment haut. Enfin, quand je dis rien… Il restait bien une trace de son passage, un simple bouton, à quelques centimètres du caniveau, un bouton semblable à ceux qui ornent les manches de la veste. Je ne sais pas vraiment pourquoi, après un moment à essayer de comprendre ce qui venait de se dérouler sous mes yeux, je me suis penché pour le ramasser. Aujourd’hui encore, il se trouve dans l’une des poches intérieures de mon exemplaire de la veste, là où je l’avais placé. Étonnamment, j’ai l’impression que depuis ce jour, c’est allé de mal en pis avec Maria. Comme si le suicide de ce type était une métaphore de notre relation. Après tout, ne l’ai-je pas sabordée chaque jour par égoïsme ?

C’est drôle quand j’y repense. Pendant toute la fin de notre histoire, ce long glissement infernal, je n’en ai pas démordu : j’ai continué à porter la veste, alors qu’elle la trouvait ridicule. Je ne sais pas vraiment ce que je cherchais à démontrer, mais toujours est-il que ce n’est qu’après son départ que je l’ai mise au placard. C’est peut-être pour ça que j’ai décidé de la ressortir aujourd’hui, comme si ça allait me ramener ma Maria…


J’ai parlé de la veste à mon psy. Il m’a demandé ce que j’avais pensé en la retrouvant, comment je m’étais senti en l’enfilant. Des trucs de psy quoi. Je lui aurais dit que j’avais mangé un sandwich au thon qu’il m’aurait posé les mêmes questions. Je devrais peut-être lui dire ça la prochaine fois, et lui avouer que je n’aime pas le thon, ça devrait le secouer et il m’en parlera pendant une demi-heure. Je lui ai raconté que j’avais failli me ramasser un macchabée sur la trogne, et il me parle de mode ce con.


Je suis pas allé chez le psy aujourd’hui. Pas la force. Pas foutu de lui envoyer un texto non plus. Tant pis. Il sera pas le premier que je déçois. J’arrive pas à penser. Les mots se mélangent dans ma tête. Ça bourdonne. Comme si… Je sais pas. Comme souvent quoi. Je m’abrutis à vue d’œil.


J’ai décidé de ressortir avec la veste. Je ne l’ai pas encore fait, j’ai du mal à sortir de chez moi de toute façon. Tous les bruits du dehors m’agressent. Tous ces connards qui klaxonnent, ceux qui chevauchent une moto pétaradante pour se persuader de leur virilité, les gens au téléphone, le tintement d’un trousseau de clés dans une main, le raclement du skate d’un gamin, le juron étouffé de celui qui voit son bus passer sous son nez. À chaque fois, je sursaute, je me crispe, j’ai chaud, comme si chaque nouveau son parasite projetait une étincelle et allumait un feu à l’intérieur de moi, ma respiration s’accélère, je m’épuise et je panique. Alors autant rester chez moi, je n’ai pas l’énergie. Mais la prochaine fois que j’y parviens, je porterai la veste. Je n’arrête pas de repenser au sourire gentiment moqueur de Maria lorsqu’elle m’a vu avec. Est-ce qu’il s’agissait encore d’un sourire amoureux ? Je ne sais pas. Je revois son regard doux et goguenard, et je revois le mec tomber de l’immeuble, avec la même veste, et avec son bruit de craquement spongieux. La prochaine fois que je sors, je la mets. Avec un peu de chance, je finirai comme lui et tout le monde aura la paix.


Je l’ai mise. Je n’aurais pas dû.


Histoire à suivre...
Vous pouvez lire la suite juste ici.


Merci à vous qui avez lu cette première partie de ma nouvelle "La veste". J’espère que vous avez apprécié cette nouvelle exploration littéraire, même si elle aborde des thèmes difficiles. La sensibilisation sur les sujets de santé mentale me paraît essentielle de nos jours, surtout depuis 2020 et la crise sanitaire qui a mis la santé psychique de beaucoup de monde à rude épreuve. Pour vous donner une petite idée de ce qu’il en est en France, d’après une étude Ipsos réalisée à l’automne 2021 pour la Fondation FondaMental, 47 % des Françaises et des Français présentent des symptômes dépressifs, et dans le cas de 1 personne sur 4, il s’agit de symptômes modérés à sévères. Vous pouvez consulter les autres conclusions de l’étude ici.

Si vous ou vos proches êtes touché·es par la dépression, il existe plusieurs associations vers lesquelles vous pouvez vous tourner, comme :

  • S.O.S Amitié : 09 72 39 40 50

  • Suicide écoute : 01 45 39 40 00 (prix d’un appel local)

  • SOS Suicide Phénix : 0825 120 364 (15ct / min) ou 01 40 44 46 45 (prix d’un appel local) si vous vivez en région Île-de-France

  • Écoute famille : 01 42 63 03 03 (prix d’un appel local)

  • Fil Santé Jeunes : 0800 235 236 (appel anonyme et gratuit depuis un poste fixe)

  • Phare enfants-parents : 01 43 46 00 62 (du lundi au vendredi 10h-17h)

  • Association France-Dépression : 07 84 96 88 28

  • L’Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques) : 01 53 06 30 43 (pour obtenir le numéro de votre section départementale)

  • La FNAPSY (Fédération Nationale des Associations d’usagers en PSYchiatrie) : 01 43 64 85 42 (standard ouvert de 9hà 13h)

Pour parler d’un sujet plus joyeux, j’ai une nouvelle importante à vous annoncer. Ma newsletter va devenir payante ! Cela va m’aider à continuer d’écrire et de vous distraire avec mes "Histoires comme ça".
En effet, il y a un mois je publiais le texte "Et si c’était un peu tôt" dans lequel je vous interrogeais sur cette éventualité, questionnaire à la clé, pour savoir ce que vous en pensiez. 100 % des réponses que j’ai reçues au questionnaire indiquent que vous seriez prêt·es à payer pour continuer à lire mes "Histoires comme ça". Merci pour cette preuve d’intérêt et de confiance, c’est un encouragement précieux. Merci aussi à mes ami·es qui m’ont fait part de leurs réserves et de leurs conseils.

Grâce aux réponses que vous m’avez apportées toutes et tous, j’ai donc décidé de rendre ma newsletter payante selon les modalités suivantes, applicables dès le prochain envoi dans deux semaines :

— L’abonnement mensuel sera à 2 € par mois, soit le tarif minimum sur la plateforme Kessel où je publie ces textes.
— Vous aurez aussi la possibilité de souscrire à un tarif premium de 5 € par mois sur un an, payable forcément en une fois. Ce prix correspond à ce que plusieurs personnes ont suggéré dans mon questionnaire. À terme, en fonction des possibilités offertes par la plateforme, j’aimerais que cette option puisse être à prix libre, payable mensuellement, et s’appelle tarif soutien, puisqu’il s’agit de l’idée que je cherche à mettre en œuvre : non pas une promesse de plus de textes, mais une possibilité pour celles et ceux qui le souhaitent, de manifester leur soutien par plus qu’un simple abonnement. En guise de remerciement dans ce cas-là, je vous enverrai une nouvelle gratuite (et inédite, mais il me semble que cela va sans dire !)
— Je continuerai de publier certaines histoires en accès libre et gratuit. Ce ne sera pas la majorité de mes textes, mais j’espère que cela me permettra de continuer d’augmenter mon audience.
— Je souhaite mettre en place un système de parrainage dont je vous expliquerai la teneur dans un prochain envoi. Tout ce que je peux vous dire pour l’instant, c’est qu’il y aura des réductions et des cadeaux à la clé !

Voilà pour les annonces. Comme toujours, vos remarques et vos avis sont les bienvenus ! Je souhaite construire cette newsletter et ce que j’essaie d’y faire avec vous.
Bonne fin de journée à toutes et à tous, et à dans deux semaines pour continuer cette histoire !