Histoires comme ça

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Par Thomas Weill
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EGO - partie 2

De prime abord, il n’avait cédé à ma demande qu’à force d’une grande insistance de ma part, et parce qu’il me suit depuis des années et sait bien que l’hypocondrie ne fait pas partie de mon caractère : si je dis que j’ai un problème, c’est probablement le cas.

Il est toujours temps de lire ou de relire l’épisode précédent :
“EGO - partie 1”

« Yohana ? Entrez, je vous prie. »

De prime abord, il n’avait cédé à ma demande qu’à force d’une grande insistance de ma part, et parce qu’il me suit depuis des années et sait bien que l’hypocondrie ne fait pas partie de mon caractère : si je dis que j’ai un problème, c’est probablement le cas. Pourtant, depuis le début, il se montre confiant et rassurant, même quand je lui ai décrit ma crise qui ressemblait à s’y méprendre à de l’épilepsie, mon malaise après mon hallucination, mes migraines, systématiques après mes rêves, et de plus en plus fréquentes en journée. Je m’attendais donc à croiser un regard rempli d’une bienveillance légèrement amusée et condescendante. Toutefois, quand le docteur m’ouvre la porte de son cabinet, ses yeux ne rencontrent pas les miens, et je vois bien que son visage a des airs de mauvaise nouvelle.

Je le suis dans la salle familière, avec son lino usé, ses murs vert clair surchargés d’images violemment visuelles de pathologies diverses, et trouve place dans la chaise habituelle, à l’assise en cuir élimée par des milliers de patients. Il me fait signe de m’asseoir sans même remarquer que je me trouve déjà sur mon séant.

« Je vous remercie d’être venue jusqu’ici, je préférais que nous nous voyions pour ce que j’ai à vous dire. »

Il n’a de cesse de se frotter les mains l’une contre l’autre derrière son bureau de bois sombre. La seule chose qui les empêche d’entrer en combustion ne peut être, à mon sens, que la moiteur qui semble les recouvrir. Son regard semble être le lieu d’un combat acharné entre la gêne et la pitié. Allez-y doc, dites-moi ce qui m’arrive, je peux l’encaisser ! Mon cerveau pense ces mots, mais n’en a visiblement pas informé le reste de mon corps si j’en juge par ma gorge qui paraît avoir fermé boutique.

« Je… Vous savez, si j’ai fini par consentir à vous faire passer ce scanner après que nous n’ayons rien trouvé lors de l’examen clinique… Eh bien… Comment dire… C’est qu’il y avait une pathologie qui restait possible, même si… Bon. Je vous soigne depuis que vous êtes enfant, et vous venez régulièrement me rendre visite, donc il n’y avait vraiment aucune raison pour que l’on trouve quoi que ce soit avec ce scanner, on aurait repéré d’autres symptômes avant… Pourtant, je pense à présent que vous avez eu raison d’insister comme vous l’avez fait. »

Mon esprit s’est mis en rade lui aussi, il a suivi l’exemple de ma gorge. La seule chose qui l’habite en ce moment est une question ridiculement anodine : puisqu’il me connaît depuis que je suis enfant, quand a-t-il commencé de me vouvoyer ?

« Bon, gardez à l’esprit que ce genre de technologie n’est pas fiable à 100 %, il y a toujours une marge d’erreur avec cela.

— Avec les scanners ? Vous savez que je bosse exclusivement avec des scanners n’est-ce pas ? Je suis bien placée pour en connaître les insuffisances, mais aussi la fiabilité. »

Les mots sont sortis d’une manière bien plus agressive que je ne l’aurais voulu, mais c’était la seule solution pour dépasser le barrage de ma gorge. De toute façon, je ne suis même pas sûre qu’il l’ait remarqué.

« Oui, oui, bien sûr. Mais bon, peut-être que ce n’est pas ça. »

Il se racle la gorge.

« Pas quoi exactement, docteur ? »

...