Un conte pour ceux qui avaient oublié d'aimer (partie 2)
Leurs yeux avides se cramponnaient à la conteuse. La douceur de ses gestes, l’émotion dans son sourire, la compassion de son regard, ils les voyaient sans les percevoir, tant toute leur attention se focalisait sur leur besoin et leur manque.
Leurs carcasses décharnées, pareilles à des spectres de chair et d’oubli, se nourrissaient des mots de la conteuse comme l’assoiffé se jetterait sur la rosée du matin, car ses paroles dissipaient leur nuit avec la légèreté de l’aurore. En leur souriant, elle s’approcha d’eux, et leurs mains tendues se refermèrent sur les replis de ses vêtements. Ils se mirent à gémir leur cri de manque et de vide, tirant plus fort sur le textile. Doucement, elle leur attrapa les mains, avec fermeté et tendresse, elle les repoussa juste un peu sans les lâcher.
« Vous savez comment cela se passe n’est-ce pas ? Vous aurez votre histoire, mais pour cela vous devez vous préparez à l’écouter. Asseyez-vous, je suis là, tout va bien maintenant, je suis là. »
En disant cela, elle les conduisait de la main, avec la douceur sans borne d’un parent qui berce son enfant pour la première fois.
Les mots eurent sur eux un effet radical. Leur échine se redressa d’un coup, simplement parce qu’ils entendaient sa voix, et leurs corps tendus s’affaissèrent ensuite avec lenteur, l’anticipation les conduisant au seuil de l’extase. Oui, ils savaient comment cela se passait, toutes les nuits ils ne rêvaient que de cela, n’attendaient que cela. Alors, dociles, ils obéirent et se rangèrent en face de la conteuse.
Elle les regarda faire puis s’installa à son tour, ses jambes repliées en tailleur sous elle comme l’aurait fait une enfant. Elle prit une grande inspiration puis commença de sa voix chaude et douce.
« Vous souvenez-vous de mon histoire ? De cette fille à qui la science avait volé ses parents ? Vous souvenez-vous que la mort, dans un élan de pitié, avait alors entrepris de la recouvrir de son voile, la serrant affectueusement contre son sein ? Avant qu’il ne soit trop tard, ses parents lui avaient enfilé leur appareil, cet étrange casque qui peut-être un jour pourrait lire les pensées, car il s’agissait de leur seul et dernier espoir. Il s’en était suivi une brève explosion de lumière, puis du silence ; vous en souvenez-vous ? En un sens, l’existence de l’enfant, telle qu’elle l’avait connue du moins, prit fin ce jour-là. Mais ne vous désespérez pas trop vite, car lorsqu’une page se tourne, d’autres continuent de s’écrire, et l’histoire des parents se poursuivait encore.
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